Résumés du Colloque 2016

Jean-Christophe Bélisle-Pipon

‘Dating Patients’: Une zone grise tacitement permise aux compagnies pharmaceutiques?

Voudriez-vous être invité à une date avec un représentant pharmaceutique? La date tournerait autour de votre maladie, impliquerait probablement d’autres patients et des leaders d’opinion de l’industrie, et plus s’il y a chimie entre vous et un certain médicament… Préféreriez-vous que cette date ait lieu à une chaîne de restauration rapide ou dans un restaurant chic? Voudriez-vous en savoir plus sur le médicament que vous prenez ou peut-être sur d’autres traitements alternatifs pour votre maladie? Voici quelques-unes des questions que peuvent avoir les patients quant à leurs interactions avec des représentants pharmaceutiques au cours* des événements de soutien aux patients parrainés par l’industrie. L’usage même, par les patients, de la métaphore de dates pour nommer leurs interactions avec des représentants pharmaceutiques soulève des questions intéressantes sur les relations qu’une compagnie pharmaceutique peut ou doit avoir avec ses clients, et si (et comment) ces pratiques doivent être réglementées. Bien que les codes de déontologie interdisent aux professionnels de santé d’avoir des relations romantiques avec leurs patients, les codes d’éthique de l’industrie sont plutôt avares quant aux interactions directes avec des patients. Il est donc utile et important de se pencher sur de telles pratiques. Après tout, les événements centrés sur les patients devraient véritablement fournir des services éducatifs et du soutien, avec l’autonomisation des patients comme intérêt prépondérant plutôt que le succès commercial d’un médicament.

 

Patrick Gogognon

Les enjeux éthiques de la gouvernance implicite de la recherche en santé des populations dans les pays du sud. Une étude exploratoire au Bénin et en Côte d’Ivoire

Les partenariats nord-sud occupent une grande place dans la recherche en santé des populations dans les pays du sud. En bioéthique, plusieurs auteurs se sont intéressés à la problématique des rapports de pouvoirs des chercheurs et des institutions du nord sur leurs collègues du sud dans le cadre de ces recherches. Leurs études ont permis de souligner les enjeux de justice et d’équité s’y rapportant contribuant ainsi à enrichir la réflexion éthique dans ce domaine. Mais ces travaux présentent néanmoins des limites. En effet, les rapports de pouvoirs sont étudiés uniquement dans la perspective nord-sud. En outre, ils sous-tendent que ces rapports prennent naissance dans les différences notamment des moyens financiers et technologiques, de la formation ou encore de la culture de recherche. Peu de travaux en bioéthique ont porté sur les conditions locales dans lesquelles se déroulent ces recherches et sur l’expérience des rapports de pouvoirs entre les chercheurs du sud et au sein de leurs institutions. Pour bien comprendre les mécanismes et les implications éthiques de ces rapports de pouvoirs dans une perspective sud-sud, nous avons réalisé une étude qualitative au Bénin et en Côte d’Ivoire. Nos résultats préliminaires soulignent la réalité complexe de l’environnement dans lequel s’effectue la recherche en santé des populations dans ces pays. En outre, nos données révèlent une démarche normative implicite dans la conduite de ces recherches hors de tout cadre formel. Enfin nous observons que la recherche réalisée dans un tel contexte soulève des enjeux notamment de conduite responsable en recherche dont les implications pourront porter sur la justice et l’équité pour ces chercheurs.

 

Hazar Haidar

L’autonomie reproductive et la prise de décision autour du Test Prénatal Non Invasif (TPNI): perspectives des couples et des femmes enceintes du Québec et du Liban

L’introduction du Test Prénatal Non-Invasif (TPNI) au sein des soins prénataux pour détecter les aneuploidies foetales rencontre actuellement un grand succès. Dans le but d’explorer les attitudes et les perceptions des femmes enceintes et de leurs partenaires vis-à-vis du TPNI ainsi que les différents facteurs qui influencent leur prise de décision, nous avons conduit une étude qualitative basée sur des entrevues semi-dirigées à Montréal et au Liban. La majorité des participants ont considéré que le test constitue un progrès dans le cadre des technologies reproductives. Ils ont souligné de nombreux avantages d’un nouveau test non-invasif, ayant une spécificité élevée et pouvant être effectué dès la dixième semaine de grossesse. Cependant, les participants ont soulevé divers facteurs jugés comme influençant l’autonomie reproductive des couples et des femmes enceintes : les facteurs similaires identifiés sont le coût du test, ses caractéristiques, la perception des participants concernant l’avortement et le désaccord entre le couple quant au choix de tester. Un élément mentionné uniquement par les couples libanais et considéré comme un facteur important dans leur prise de décision était la recommandation du professionnel de la santé. Pour assurer une prise de décision éclairée par les femmes et leurs partenaires, les divers facteurs contextuels devraient être pris en considération afin de promouvoir leur autonomie reproductive quant au choix vis-à-vis du test.

 

Caroline Kilsdonk

Les inégalités entre hommes et femmes dans les statistiques sociales et l’emploi : doit-on s’en préoccuper?

Au Québec, certaines politiques sociales visent à éliminer les écarts hommes/femmes dans les statistiques relatives aux catégories d’emploi, salaires, temps de travail et temps consacré aux soins aux enfants. Le féminisme dominant (institutionnalisé et médiatique) encourage des rôles sociaux identiques pour hommes et femmes. Le féminisme de genre, très présent, affirme que ces différences ont pour origine la socialisation différenciée et ne reconnaît aucun apport de la biologie. Les femmes choisissent en plus grand nombre le travail d’aide, de soin et de se consacrer à leur famille. Nombre de différences entre les sexes ont été étudiées dans la structure et la fonction des différentes zones du cerveau. Les prédispositions aux maladies mentales diffèrent, de même que les aptitudes. Les causes en sont multiples : génétiques, endocriniennes, épigénétiques, sociales et environnementales. La somme de ces différences pourraient expliquer certains choix différents des femmes et hommes. Bien loin de remettre en question l’égalitarisme, j’affirme qu’il est paternaliste de ne pas respecter les choix autonomes des femmes et que ces pressions pour des rôles identiques sont inéquitables. Il serait plus bienfaisant de laisser chacune choisir le mode de vie favorable à son bien-être et celui de sa famille, choix effectué en fonction de valeurs morales qui sont les leurs. Dans cette vision féministe repensée, c’est le soin qu’il faut revaloriser (peu importe le sexe du donneur de soins) plutôt que de pousser les femmes à suivre les anciens modèles masculins.

 

Tierry Morel-Laforce

Le refus de traitement en procréation assistée – un aperçu de la littérature

The province of Quebec offers since 2010 comprehensive public funding for in vitro fertilization (IVF), allowing access to any woman ‘of procreative age’ without specifying eligibility criteria. Recently, a bill has been introduced suggesting such criteria. It is seen as necessary because in the absence of such criteria, patients wishing to access IVF may be confronted with professionals who reject them based on subjective criteria. New criteria are therefore meant to help guide clinic personnel in their decision making process. This presentation will describe a research project currently in progress that aims to identify criteria that are currently used by professionals working in ART clinics in Quebec (i.e. in the absence of any legal or regulatory guidance) when they refuse to provide IVF to a patient. This is a qualitative-inductive study involving interviews with 15 participants working in 5 ART clinics in Quebec. The participants are physicians, nurses, psychologists, social workers or sexologists. A thematic analysis based on an extensive literature review on the topic allowed grouping criteria into categories based on overarching themes. The interviews will allow the examination of the real-life use of these criteria, clarify and refine their meaning and possibly regroup them into different categories. This presentation will focus on the criteria gleaned from the literature review, the categories they allowed the researchers to develop and how they led to the development of interview guides. It will engage the audience in a discussion regarding the eligibility criteria currently applied in different parts of the world.

 

Charles Marsan

Historique de la notion de conflits d’intérêts en recherche

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la recherche chez l’être humain soulève d’importants enjeux que la bioéthique s’est efforcée de résoudre. Afin de protéger les participants à la recherche et d’assurer l’intégrité des données scientifiques, les gouvernements ont mis en place des comités d’éthique de la recherche (CÉR). L’une des problématiques que les CÉR doivent résoudre concerne les conflits d’intérêts (CI). Dans le but de clarifier cette notion, je propose de présenter un historique de l’utilisation du concept de CI en recherche tel que retrouvé dans les divers textes régulateurs et rapports d’enquête rédigés au cours des vingt dernières années. J’exposerai les réflexions qui ont inspiré la rédaction du plan d’action ministériel en éthique de la recherche et en intégrité scientifique du Québec (PAM) ainsi que l’Énoncé de Politique des Trois Conseils au Canada (EPTC). En énonçant des exemples de CI, je montrerai comment le concept s’est élargi au fil du temps, passant des CI financiers découlant de l’entrepreneuriat des chercheurs aux CI idéologiques, familiaux et institutionnels. Je résumerai la conception renouvelée des CI présentée dans la récente Politique en matière de conduite responsable en recherche des Fonds de recherche du Québec. En conclusion, nous réaliserons que le poids est assez lourd sur les épaules des CÉR en regard de la gestion des CI qui peuvent se révéler en pratique. La complexité des CI en recherche réclame un besoin évident de formation, afin de permettre aux membres de CÉR d’apprendre à délibérer valablement sur ce genre de situation.

 

William Néron

L’interruption de grossesse et la question du foeticide : quelle pertinence pour le critère de la viabilité fœtale?

Depuis le célèbre arrêt Morgentaler invalidant les dispositions du Code criminel prohibant l’interruption volontaire de grossesse (IVG), aucune législation en matière d’avortement n’a été adoptée. Or, si depuis ce jugement différents représentants du domaine éthique, médical et légal ont exhorté le législateur à encadrer la pratique, rien n’a été fait. Ainsi, l’intervention demeure accessible à quiconque en fait la demande et ce, indépendamment du motif et du stade de gestation. Cette absence de directives n’est cependant pas sans poser problèmes puisqu’une majorité de médecins soutiennent qu’on ne peut, sur le plan éthique, avoir une attitude différente face à un fœtus au troisième trimestre que vis-à-vis d’un nouveau-né. La présentation exposera le fruit du travail dirigé en cours. Plus précisément, nous discuterons de la pertinence de la viabilité fœtale comme limite à l’avortement. Pour ce faire, nous exposerons l’argument féministe voulant que l’avortement consiste en un détachement du fœtus du corps de la femme, et que donc, limiter la pratique porterait atteinte à l’intégrité du corps de la femme. Toutefois, une analyse de l’argument tardif amène à penser que l’intervention, une fois la viabilité fœtale acquise, consiste moins en un détachement de l’enfant à naître qu’en une garantie de mort de l’enfant de cet enfant. En fait, l’acte du foeticide s’ajoute comme une action non nécessaire pour mettre fin à la grossesse.

 

Nathalie Voariano

Stimulations cérébrales : les risques de la neuroamélioration à la lueur du concept de double-usage

La transcranial direct current stimulation (tDCS), technologie de stimulation transcrânienne faisant l’objet d’un engouement nouveau, est une prometteuse candidate au traitement de nombreux troubles (ex. dépression, Alzheimer) et permet également d’améliorer des performances cognitives considérées comme « normales » (ex. attention, mémoire, apprentissage). Nouvellement arrivée sur le marché, il est aujourd’hui possible de se procurer une tDCS en ligne pour environ 200 dollars, voir de la fabriquer soi-même à l’aide de tutoriels. De nombreux risques potentiels accompagnent ces usages privés (relatifs à l’autonomie, la justice distributive, l’authenticité ou encore la sécurité) d’autant qu’ils ne font l’objet d’aucune réglementation.  Est proposé ici de s’intéresser à ces risques selon un modèle d’analyse basé sur le concept de double-usage, concept diagnostique pertinent référant aux recherches et technologies qui possèdent à la fois des perspectives potentiellement bénéfiques et potentiellement néfastes. Ainsi, trois catégories de risques ont été mise en évidence en vue d’informer la mise en place de politiques : des risques moyens avérés (ex. atteinte au consentement éclairé des utilisateurs et distorsion des priorités de santé), des risques acceptables a minima (ex. : effets secondaires à court terme ou justice distributive), et des risques élevés prospectifs (ex. : effets indésirables à long-terme). Ces résultats viennent ainsi alimenter la réflexion sur les différentes modalités de réglementation de la tDCS (du laissez-faire à la prohibition) aujourd’hui en pourparler, et plus largement donner des pistes pour la gestion de la neuroamélioration qui doit tenir compte des risques dans toute leur diversité de nature et de niveau.